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2010 - 2011 | DSAA - Projet de diplôme
INTRODUCTION A LA REFLEXION
EXTRAIT DU MÉMOIRE

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« Depuis toujours des créatures nouvelles naissent de l’imagination de l’homme. La greffe représenterait-elle le passage entre le rêve et la réalité ? » 1

La greffe est de nos jours une pratique courante, tant dans le domaine médical que botanique. Elle consiste, en botanique, à implanter dans les tissus d’une plante - appelée porte greffe - un fragment - désigné par le terme greffon - prélevé sur un autre végétal ou sur le même. En médecine, il s’agit de transférer sur un individu - le receveur - un tissu ou un organe prélevé sur lui-même ou sur quelqu’un d’autre - le donneur - .

Si dans l’inconscient collectif le terme évoque le plus souvent la pratique médicale, le procédé trouve pourtant ses origines dans l’histoire de la botanique. Les premières greffes de végétaux ont été effectuées par les chinois il y a plusieurs millénaires. La pratique s’est ensuite répandue en Europe, durant l’antiquité, par le biais de nombreux écrits visant à la vulgariser.
Ce n’est qu’au début du XXème siècle que les premières greffes d’organes vont être expérimentées. Selon les écrits, les premières tentatives de greffes médicales auraient été effectuées par des chirurgiens chinois qui auraient échangés les cœurs de deux soldats au IIIème siècle avant J.-C. La méthode aurait par la suite été reprise au IXème siècle, en Inde, pour remplacer par des prothèses les nez tranchés suite à des sanctions de justice, avant de susciter, aux portes du XXème siècle, l’engouement des médecins et des chercheurs. Les tentatives vont alors tout particulièrement se multiplier dans la seconde moitié du siècle, amenant aux premières grandes réussites de greffes cardiaques et rénales.

L’idée de greffe n’est cependant pas l’apanage de la médecine et de la botanique et est présente également dans l’histoire des arts et la mythologie. La greffe est l’objet de l’imagination de l’homme depuis des millénaires. Ainsi nous retrouvons dans la mythologie grecque, ou encore dans l’Egypte des pharaons, des créatures hybrides mythiques. Les figures des chimères antiques, du minotaure, ou encore les dieux de la culture égyptienne tels que Horus ou encore Athor (mi-homme, mi-animal) ne sont pas sans évoquer la greffe. Ces créatures aux pouvoirs surnaturels sont le résultat, à l’image des pratiques botanique et médicale, de croisements obtenus par la transposition d’une partie d’un être sur un autre. La greffe a également fasciné les artistes. Ainsi, dès le IIIème, la greffe d’organe fait le sujet de fresques. L’une des plus célèbres étant La Guérison du diacre Justinien, peinte par Fra Angelico au XVème siècle dans le couvent San Marco de Florence.
Les premiers emplois des termes «greffe» et «transplantation» dans les textes de langue française ont été repérés au XVème siècle dans des écrits évoquant la pratique botanique. Ce vocabulaire a par la suite été repris par les médecins et chirurgiens pour désigner la pratique dans le domaine médical. L’analogie entre la greffe des végétaux et la greffe d’organe se retrouve tant dans le vocabulaire que dans la technique. Il convient ici de souligner la différence initiale entre les termes « greffe » et « transplantation » dans le domaine médical. En effet, le vocabulaire médical distingue avec précision la greffe, qui concerne les tissus ou les greffons de cornée, de la transplantation se rattachant quant à elle aux organes. La différenciation relève de notions médicales complexes liées aux procédés de connexion de l’organe au corps du receveur, les enjeux de la pratique restant sensiblement identiques. Pour notre étude, nous utiliserons, à la manière de Laurent Degos dans son ouvrage Les greffes d’organes en 1994, le terme « greffe » pour désigner indifféremment tout transfert d’un greffon humain d’un individu à un autre.

La greffe médicale constitue une des grandes avancées de la science au XXème siècle. Elle est à ce jour une pratique chirurgicale courante et permet de sauver nombre de vies. Elle a pour but principal d’améliorer les conditions d’existence ou d’augmenter l’espérance de vie d’un patient dont un organe est malade.
La greffe botanique est quant à elle opérée pour différentes raisons, ayant toutes pour point commun de questionner l’apport de nouveauté pouvant être généré par l’existant. Le but principal est la création ou l’amélioration de végétaux qui ne sauraient être possibles par une évolution naturelle de la plante. Il s’agit également de multiplier les végétaux plus rapidement que par reproduction sexuée naturelle des plantes.

La greffe est donc un produit à part entière et nouveau, né de l’association de deux entités existantes que l’on choisit délibérément de croiser pour améliorer, créer, développer…
Elle constitue ainsi d’une certaine manière une méthode de création dans la mesure où l’homme, par son intervention sur la nature, se place en tant que créateur. A la manière du designer, le botaniste et le médecin se placent en tant que créateur en cherchant des solutions aux besoins identifiés et en cherchant à repousser les limites du possible. A la manière du botaniste et du médecin, le designer est curieux de son environnement et soucieux de l’améliorer.
De tout temps les créateurs se sont inspirés de la nature et de ses mécanismes complexes. A travers la greffe, l’homme s’inscrit dans une démarche s’inspirant des procédés de la nature, tout en façonnant celle-ci.

Comment alors transposer dans le domaine du design les apports de ce procédé ? Et quels sont pour le designer les grands enjeux de cette transposition ?
D’un questionnement sur les rapports du créateur à la nature à la remise en question des méthodes de conception habituelles du designer, en passant par les enjeux éthiques du procédé, nous dresserons un panorama des enjeux essentiels de cette notion.

1. Degos Laurent, Les greffes d’organes, Flammarion, collection Dominos, 1994, p.7.


 


 

Représentation stylisée sous forme sculpturale des principaux types de greffe botanique.
: Représentation stylisée sous forme sculpturale des principaux types de greffe botanique.